1. ON RECONNAIT L'ARBRE A SES FRUITS

Choisir de mener son projet dans le champ de l’économie sociale et solidaire (ESS), c’est REVENDIQUER DES VALEURS ET S'ENGAGER, soit quant aux produits et services proposés, soit quant à leur processus de production ou leurs impacts sociaux ou environnementaux. C’est refuser la perte de sens de l’humain à laquelle peut parfois pousser la logique de marché, amorale.  A l’inverse, c’est respecter une “visée éthique” (au sens de la définition de Paul Ricoeur, “visée de la vie bonne, avec et pour les autres, dans des institutions justes”).

Dans la définition et la mise en oeuvre de son projet, tout entrepreneur adhérant aux principes de l’économie sociale et solidaire est amené à s’interroger sur le cadre juridique, social et fiscal dans lequel s’inscrira son action et dans lequel il trouvera sa place.

Il existe de multiples formes possibles de structures juridiques, celles propres à l’ESS (association, fonds de dotation, fondation, coopérative loi 47, SCIC, SCOP, CAE, mutuelle, syndica) ou celles “classiques” du secteur marchand (SA, SARL, SAS) respectant des principes directeurs plus ou moins contraignants (développement d’une politique RSE, certification “B-corp”, adhésion aux principes de l’ESS, agrément “Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale” - ESUS).

La solution de la forme juridique la plus adaptée n'apparaîtra qu’après avoir bien dessiné le projet.

2. IL NE FAUT PAS METTRE LA CHARRUE AVANT LES BOEUFS

Que le porteur de projet s’inscrive ou non dans l’ESS, la règle d’or pour choisir le schéma juridique est toujours la même : “LA FORME JURIDIQUE EST AU SERVICE DU PROJET”.

La structure juridique n’est qu’un outil, un moyen, jamais une fin. Pour cette raison, la question de la forme juridique est la dernière question à se poser.

Pour pouvoir définir le schéma juridique et fiscal permettant de réaliser le projet, il faut connaître les points essentiels suivants :

  • L’objectif poursuivi : quelle finalité ? Pour quoi ? Pour qui ?
  • Le modèle économique : quelles ressources ? Quels investissements ? Quelle rémunération ? Quelle gestion des éventuels bénéfices ?
  • La gouvernance : qui contrôle le projet ? Quelle répartition des pouvoirs ? Quelle implication des parties prenantes ?

3. DE LA DISCUSSION, JAILLIT LA LUMIERE

La définition du montage juridique et fiscal ne peut se faire qu’après un travail important de modélisation économique et de définition de la stratégie

Un avocat consulté dès le début de la réflexion ne sera pas en mesure de conseiller un montage plutôt qu’un autre, sans information sur les caractéristiques essentielles (activités, financement, finalité et gouvernance).

Ce conseil consulté très en amont pourra uniquement proposer de grands axes stratégiques et soulever les problématiques à résoudre pour avancer en fonction du secteur d’activité, des sources de financements envisagées et de la finalité recherchée.

Les préconisations sur la forme et le montage les plus adaptés ne peuvent être formulées qu’après un travail important de prospection, de conception et d’échanges avec les potentielles parties prenantes (définition du concept, étude de marché, identification des besoins et élaboration de la réponse à y apporter, établissement d’un premier budget prévisionnel à trois ans, prise de contact avec les potentiels financeurs et partenaires pour connaître leurs conditions d’intervention, etc).

Une fois le modèle économique établi, la finalité définie et les conditions d’implication des parties prenantes connues, il est possible d’établir le montage qui portera le projet avec une ou plusieurs structures.

4. TROUVER CHAUSSURE A SON PIED

 

Chacune des structures existantes en droit français répond à une logique propre et est soumise à un régime juridique (voire fiscal) spécifique.

La forme juridique influe directement sur l’objet social possible, la capacité juridique de la structure, ses modalités de financement, sa composition, ses possibilités d’organisation et de fonctionnement, etc.

Ainsi, le schéma juridique et fiscal sera totalement différent selon que l’activité repose :

  1. sur la contribution volontaire de personnes agissant à titre bénévole ou sur des dons consentis de manière désintéressée par des particuliers ou des entreprises,
  2. sur des financements publics, sous forme de subventions ou de marché public,
  3. sur le prix directement versé par les bénéficiaires de marchandises ou de prestations de services,
  4. sur un investissement initial important devant être rémunéré.

Par exemple, il sera souvent préférable, pour des raisons fiscales, qu’une activité financée par des dons soit portée par un organisme éligible au régime du mécénat (organisme pouvant émettre des reçus fiscaux donnant droit à réduction d’impôt). Le cas échéant, le porteur de projet devra alors garantir le caractère désintéressé de sa gestion.

5. L'ARGENT NE FAIT PAS LE BONHEUR - IL NE FAUT PAS COURRIR DEUX LIEVRES A LA FOIS

 

Dans le champ de l’ESS, la finalité du projet est déterminante. LE montage juridique sera déterminé selon que le projet poursuit un intérêt personnel, un intérêt collectif ou l’intérêt général.

Soyons clair, un projet répondant à une logique d’enrichissement personnel pure trouvera difficilement sa place dans l’ESS (à la limite le projet garantira un impact social ou environnemental positif grâce au respect de la certification “B-Corp” ou devra plutôt se traduire par une simple politique de Responsabilité Sociale de l'Entreprise - RSE).

Dans certains cas, il peut exister certains montages permettant de coupler une recherche de profits selon le modèle capitaliste classique avec un projet complémentaire d’intérêt général ou d’utilité sociale.

6. ON NE PEUT MENAGER LA CHEVRE ET LE CHOU

Il convient de s’assurer des engagements pris. Le porteur de projet renonce t-il à toute patrimonialité ou souhaite-t-il pouvoir un jour percevoir les fruits de son projet (autrement dit, souhaite-il revendiquer la propriété du projet pour pouvoir réaliser une plus-value dans le cadre d’une cession de son entreprise) ? Le porteur de projet poursuit-il un but autre que le seul partage de bénéfices ? S’il est prêt à abandonner la patrimonialité du projet, est-il prêt à renoncer totalement à toute forme de lucrativité ou souhaite-t-il vivre de son activité (c’est-à-dire en tirer une rémunération) ? Les réponses à ces questions auront un impact déterminant sur le choix du schéma juridique retenu.

Par exemple, si le porteur de projet souhaite “un retour sur investissement”, la forme associative sera exclue. La forme associative est en effet caractérisée par la non-lucrativité juridique qui interdit, par définition, la distribution des bénéfices et des actifs de l’association à ses membres (cf. Article 1 de la loi du 1er juillet 1901 ; Cass. Soc. 04 mars 1992 n°88-41.014).

Dans l’hypothèse d’un projet impliquant la rémunération de ses fondateurs et une rémunération des investisseurs, il peut exister des montages juridiques plus ou moins complexes garantissant les valeurs défendues au profit de l’intérêt général. Le montage peut alors refléter une identité forte et un engagement clair.

Par exemple, un projet de startup purement commerciale sera perçu différemment s’il est intégré dans un modèle économique de fondation actionnaire. Dans un tel modèle, la structure commerciale “classique” est détenue majoritairement par une fondation ou un fonds de dotation percevant les dividendes de l’activité pour financer des activités d’intérêt général.

Pour garantir la patrimonialité totale du projet, les fondateurs pourront préférer le maintien d’un modèle de société commerciale mais en respectant les conditions de certification B-corp garantissant un engagement responsable (modèle des entreprises “hybrides” américaines).

7. L'UNION FAIT LA FORCE (MAIS MIEUX VAUT ETRE SEUL QUE MAL ACCOMPAGNE)

 

Enfin, le choix de la forme juridique dépendra de l’organisation et du fonctionnement souhaités par les fondateurs. Tout dépendra  des modalités de contrôle de la structure, de la place des fondateurs et de la répartition des pouvoirs.

Ainsi, la forme juridique pourra être différente selon que la gouvernance doit être totalement verrouillée au profit du ou des fondateurs ou, au contraire, doit être collective et inclure toutes les partis prenantes du projet.

A titre d’illustration, les principes coopératifs de droit commun “une personne, une voix” pourraient apparaître incompatibles avec un schéma de gouvernance garantissant un contrôle exclusif au profit d’une seule personne.

8. QUAND IL N'Y EN A PLUS, IL Y EN A ENCORE

Il existe également des éléments techniques à prendre en compte en fonction du secteur d’activité de la structure, de la fiscalité applicable ou encore de la volonté de procéder à une offre publique de titres financiers (OPTF).

D’autres questions peuvent se poser au regard de la situation personnelle du ou des fondateurs qui peuvent parfois percevoir des aides pour monter tel ou tel type de structure.

9. LES GRANDS ESPRITS SE RENCONTRENT 

En conclusion, le choix du schéma juridique et fiscal découle directement du projet et dépend du degré d’adhésion du fondateur aux principes de l’économie sociale et solidaire et sa capacité à partager le pouvoir.

Pour aider les porteurs de projet de l’ESS dans leur réflexion, ce site leur propose plusieurs outils et articles qui leur permettront de comprendre les avantages et inconvénients de chaque structure.

Nous recommandons la lecture du guide “Choisir la forme juridique adaptée à son projet” de l’Avise.

Il existe également de nombreux dispositifs d'accompagnement pour les porteurs de projet de l’ESS, en particulier les dispositifs locaux d’accompagnement (DLA), portés par plusieurs acteurs incontournables du secteur : FRANCE ACTIVE, INITIATIVE FRANCE, le réseau BGE, le réseau Léo Lagrange, etc.

Il existe également de plus en plus de nouveaux acteurs tels que Ticket for Change, Make Sense, ou Probono Lab.

10. QUI VEUT LA FIN, VEUT LES MOYENS

 

Dans l’idéal, lorsque les financements obtenus le permettent, les porteurs de projets ont évidemment intérêt à se faire accompagner par des professionnels (ex : experts comptables, avocats, financiers) pour arrêter le modèle économique et sécuriser le montage juridique et fiscal qui le portera.

Bref, une fois l’idée pensée, le créateur du projet a encore du pain sur la planche avant de définir son montage.

Nous nous arrêtons là car les grands diseurs ne sont pas les grands faiseurs...

BONNE CHANCE !